Les agences de notation, au-dessus des Etats ? (2/2)
Dans la première partie, nous avions présenté les agences de notation sous un angle volontiers manichéen, en terminant par l’idée selon laquelle celles-ci ne sont pas totalement à blâmer pour leur responsabilité dans les désordres économiques actuels. Intéressons nous au cas particulier de l’Europe pour mieux comprendre leur mode d’action.
Dans sa tribune dans Le Monde du 3 juillet dernier, Amartya Sen, l’économiste indien spécialisé dans l’étude du développement économique des pays émergents, parlait d’un euro « qui fait tomber l’Europe », pointant du doigt le rôle des agences de notation qui « dictent aux gouvernements démocratiques leurs programmes ». A la lumière des désordres économiques grecs, cette thèse apparait défendable. Les agences ont tout pouvoir pour rendre en quelques heures les taux d’emprunt d’un pays du stade du supportable au stade de l’insoutenable. L’économie libérale est fondamentalement basée sur l’opportunisme. Or, les agences n’ont fait que profiter de l’absence totale de juges implacables capables de noter la santé financière des économies développées. Et sans même penser une seule seconde que ce n’est pas définitivement pas le bon moment de dégrader la note des pays touchés !
Or, ce poids se ressent désormais : la priorité des priorités, pour tout Etat européen, est de s’assurer que sa note ne baisse pas, et non plus d’assurer le bien-être de sa population. Là surgit le problème.
Leur seule utilité n’est-elle pas de faire prendre conscience aux Etats que l’endettement croissant nuit à la croissance ?
Leur existence, leur pouvoir, même s’il n’est guère démocratique (qui a vraiment permis à ces agences d’exister, à part les Etats ?), est salvateur pour une bonne raison : les Etats occidentaux ont tort de laisser vivre leurs déficits ad vitam aeternam, et il est donc logique de venir leur rappeler leur exigence de bonne tenue des comptes publics (fussent-ils à peine en déficit, objectif globalement inatteignable aujourd’hui en Europe, règle d’or ou pas).
Avec du recul, on comprend bien que ce sont les Etats eux-mêmes qui sont à blâmer, pour deux raisons : ils ont enfanté ceux qu’ils traitent aujourd’hui de démons, ces derniers n’existant que pour leur rappeler leurs exigences ! Mais là où les Etats-Unis peuvent encore taper du poing sur la table, demandant plus de contrôle sur ces agences, les Européens ne peuvent pas, faute de consensus parmi les gouvernements des 27. Et pourtant, ils le pourraient : n’oublions jamais que Fitch, l’une des trois agences, est détenue par une holding… française.
A quand la vengeance des Etats vis-à-vis des agences ? Pas pour tout de suite, soyez-en certains…